Aime ton chanteur comme toi-même

Les relations tumultueuses entre une chanteuse et son pianiste.

Aime ton chanteur comme toi-même

Le pianiste joue trop fort. D'accord, mais aime-t-il son partenaire comme il le faudrait? Gerald Moore raconte (morceau choisi, extrait de son autobiographie).

Une expérience très désagréable m'attendait en la demeure d'une chanteuse qui m'avait "commandé", en sa qualité d'amatrice fortunée ou bien-mariée. Je dois dire que, grâce à elle, le paiement de mon loyer était assuré. Ma vie à ses côtés comportait des dangers: elle était également plutôt bien fournie en connaissances musicales. Ses moyens financiers et artistiques lui donnaient une assurance redoutable. Un jour, elle me raconta comment, après que Coenraad V. Bos avait joué l'introduction  à "Die Allmacht", elle lui ordonna de la jouer à nouveau, et bien, cette fois. "Etes-vous en train de m'enseigner comment je dois jouer Schubert?" demanda Bos, stupéfait. "Je souhaiterais que vous jouiez cette introduction comme Schubert l'aurait fait", fut sa magnifique réponse. [...]


Chacune de mes visites apportait son lot d'humiliations. [...] Un jour, au retour d'un récital qu'elle avait donné à Vienne, elle s'exclama: "Mon pauvre Gérald, est-ce que vous vous rendez compte que pour les Viennois, l'Angleterre n'existe tout simplement pas?" (De nombreux voyages m'ont prouvé par la suite que ce constat n'était pas si extravagant qu'il n'en avait l'air, même s'il aurait été plus exact de dire que, pour certains Viennois, plus insulaires encore que les Anglais, rien n'existait en dehors de Vienne.)


La goutte d'eau qui fit déborder le vase, ce fut lorsqu'elle me déclara, après une discussion animée, que nul ne pouvait jouer pour elle sans développer un sentiment amoureux. "Est-ce qu'on attend de moi que je m'éprenne de tous ceux pour qui je joue?" lui demandai-je. "Dans ce cas, je devrais plutôt ouvrir un club échangiste."